Genre : Beat them up/Mondo Dingo/This guy can’t be serious !
Supports : Playstation 3, Xbox 360
Editeur : Kadokawa Games/Deep Silver
Distributeur : Koch Media
Développeur : Grasshopper Manufacture Inc.
Test effectué sur une version : Éditeur
Date de sortie : 30 août 2013
PEGI : 18
Prix : entre 40 et 60 € pour la version simple et environ 65 € pour la version collector, comme d’habitude selon les crèmeries.
Temps de lecture estimé : pourquoi, t’as rendez-vous ?
En me promenant il n’y a pas longtemps sur un excellent site de news de JV anglo-saxon je suis tombé sur un commentaire qui disait en substance la chose suivante : « j’apprécie le travail de Suda parce que chez lui il s’agit plus de rentrer dans le tas et voir ensuite où les débris vont retomber que de façonner un produit pour un public pré-défini ».
Et je crois bien que cette vision de l’univers créatif du bonhomme est la plus juste que j’ai jamais jamais lue concernant ce trublion de Goichi.
Je ne vais pas spécialement revenir sur le fait que ses jeux ne touchent pas forcément des masses un public hexagonal peu habitué à son genre de délire, mais c’est un fait et ce n’est pas Killer is Dead qui risque de changer la donne, ce qui quelque-part me donnerait presque envie de dire « tant mieux », car c’est le signe que son créateur ne transige pas avec sa liberté de ton (au grand dam de certains qui ont du mal avec les créations qui ne rentrent pas systématiquement dans les « bonnes cases »).
Donc Suda51 on apprécie ou pas, et votre serviteur est clairement dans le premier cas de figure. Ne vas pas pour autant penser, ami lecteur, que cela m’empêche de rester objectif, mais quand il s’agit de jouer à un titre signé Suda san je pense qu’il est un peu vain de vouloir forcément le comparer à d’autres plus mainstreams œuvrant avec le même type de gameplay.
Que ce soit Killer7, No More Heroes 1 & 2, Shadows of the Damned ou Lollipop Chainsaw(pour ne citer que les plus connus) l’amateur du Nippon dont le blase sonne comme une réclame pour le pastis se rend compte que, bien après leur sortie initiale – c’est-à-dire loin du marasme de la critique qui doit absolument donner une note, là maintenant, de par la nécessité de coller à l’actu, et ce au risque de n’avoir parfois ni le recul nécessaire ni le rédacteur qualifié pour traiter de ce genre d’ovnis ludiques avec suffisamment d’objectivité –, qu’ils ne ressemblent vraiment en rien à ce que font les autres et que les ambiances particulières qui font leur charme est à la fois leur réelle raison d’être et la raison principale pour laquelle on y joue.
Un groupement de tueurs issu d’une personnalité schizophrène, un otaku puceau et grand amateur de catch qui cherche à être le premier du hit-parade des tueurs à gages de la planète en échange d’une nuit torride avec une non moins torride commanditaire, un latino rock’n roll sosie de Benicio Del Toro qui traverse un enfer grindhouse comme s’il s’agissait d’une promenade dans le parc pour retrouver sa bien-aimée, une pom-pom girl issue d’une famille de chasseurs de démons et championne dans le maniement de la tronçonneuse qui va vivre une journée bien chargée puisque les zombies ont envahi la place et en ont spécialement après elle…
Le héros selon Suda, c’est déjà tout un poème ! Et Mondo Zappa, le protagoniste central de Killer is Dead, ne fait pas exception à la règle. Tueur flegmatique et toujours élégamment sapé, il n’attirerait pas plus que ça l’attention dans une soirée chic s’il n’avait en guise de bras gauche un membre cybernétique plutôt voyant et du genre « véritable couteau-suisse de la destruction ». Mais c’est surtout son adresse au maniement du katana qui lui vaut de se retrouver premier assassin de l’organisation Bryan Execution, une entité secrète qui remplit n’importe quel contrat meurtrier du moment que ses clients s’acquittent des sommes demandées.
Je n’en dirai pas beaucoup plus sur l’intrigue de Killer is Dead mais je te préviens juste, ami lecteur, qu’elle est plutôt surréaliste et met en scène une galerie de personnages franchement hauts-de-gamme, qui vont d’une Alice au pays des merveilles qui se serait fourvoyée chez Franz Kafka (un des auteurs favoris de Suda51, soit dit en passant) à un wannabe maître du monde aussi ridicule que dangereux, en passant par des vampires qui souffrent de vague-à-l’âme ainsi que d’autres protagonistes quand même sensiblement éloignés de ceux que l’on a l’habitude de croiser dans la production courante (et il faut bien avouer qu’on n’a pas souvent à faire à des licornes parlantes, avec une certaine emphase qui plus est).
Pour ce qui est du gameplay de Killer is Dead et de sa structure on dira qu’il s’agit d’un beat them up structuré en missions et sous-missions. Côté prise en main pas de soucis, les commandes sont simples et bien qu’évoluant en complexité grâce aux upgrades dispos au fur et à mesure de la progression dans le jeu (via – encore une des marques de fabrique de Suda – la distribution de points de skills à l’issue d’un niveau), on ne s’emmêle jamais les pinceaux lors des combats, et je dois avouer que mon seul réel regret à ce sujet concerne l’absence de système de lock qui apporterait un surplus de confort non négligeable quand les rixes deviennent nerveuses.
Quant aux missions elles se débloquent progressivement, de pair avec les objectifs secondaires, qui sont souvent plus là pour le scoring pur et dur car moins destinées à faire avancer l’intrigue qu’à augmenter ses stats en vue de, justement, mieux faire face à la difficulté croissante (bien que, de façon un peu pernicieuse, chaque mission puisse se jouer individuellement au niveau de difficulté voulu).
J’en profite d’ailleurs pour faire ici une courte parenthèse concernant le mode « gigolo » de Killer is Dead, mode qui a valu à Suda51 une levée de boucliers certaine de la part de la critique de ce côté-ci de l’atlantique.
Or donc, dans le mode en question, l’ami Mondo fait un gros break et se la joue séducteur suave auprès de femmes esseulées, et se sert alors de lunettes à rayons-X pour à la fois tenter d’avoir un aperçu du type de lingerie que portent les belles et aussi deviner quel présent serait le plus susceptible de les toucher. Tout cela est évidemment présenté de façon totalement second degré, mais la vérité est qu’aujourd’hui – parce qu’il ne faut plus choquer personne sous peine de se voir accusé de tirer la chasse sur plus de 20 siècles et quelques années d’évolution, ce qui restreint quand même de beaucoup le champ des possibilités, car plus on met de garde-fous plus il est difficile de manœuvrer entre les mines – le second degré, acceptable pour certains ou non (tout est évidemment affaire de sensibilité) se retrouve menacé. Or, et n’en déplaise à tous ceux qui veulent imposer une certaine morale dans l’ordre des choses, ce mode est présenté dans Killer is Dead comme une parodie ouverte de « la drague à la James Bond » (une autre référence ouverte de Suda51 pour la création du personnage de Mondo). Dès lors peut-être que certains devraient avant-tout se poser la question des intentions d’un créateur et du droit fondamental à la liberté d’expression artistique, plutôt que, là encore, vouloir absolument ranger ce genre de production « atypique » dans des cases bien ordonnées qui, hélas pour les détracteurs, n’ont pas lieu d’être si l’on est un tant soit peu ouvert d’esprit (le même problème se posait d’ailleurs déjà avec l’excellent Catherine, maintenant que j’y pense…).
Bref, la fiction c’est la fiction, et je ne crois pas, ami lecteur, que tu as attendu que tes convictions profondes soient un jour chamboulées par une ou des créations vidéoludiques qui, justement, n’ont que faire de devoir coller à un cahier des charges du parfait-citoyen-de-la-vraie-vie (et si je me trompe, eh bien alors…ne joue surtout pas à GTA V !!).
Et étant, personnellement et par nature, méfiant vis-à-vis de tout ce qui se réclame du politiquement-correct, surtout quand il s’agit de porter rapidement des accusations de sexisme, glorification de la violence et autres maux qui seraient véhiculés de façon décérébrée (en mode ado attardé) dans notre média de prédilection par des « irresponsables » (ce qui est bien entendu le cas de tous les concepteurs de JV), je préfère prendre un peu de recul sur la question et laisser le mot de la fin sur le sujet au maestro en personne, d’autant plus qu’il est coutumier de l’accusation depuis quelques années maintenant : « Je pense que d’une certaine façon quand vous vous exposez à ce genre de critique, ça veut dire que les gens font attention à votre travail. Pour tout ce qui relève d’une démarche artistique, pour tout ce que vous créez, il y a toujours une critique à attendre à l’arrivé. Ce qui veut dire que nous produisons une certaine impression et un impact. Donc je pense que nous allons rester fidèles à ce que nous pensons et continuer à garder cet état d’esprit…et tout en disant cela je sais que tout ce qui touche au sexe est un sujet sensible. Nous ne voulons offenser personne, mais nous essayons de créer quelque chose qui fera un peu rire le public, considérant que l’on traite de ce genre de problématique ».
Bien, tout cela est bel et bon, mais il est l’heure d’en venir à ce qui fait que Killer is Dead – à l’instar de tous les précédents softs de Suda51 – un grand moment de bonheur : son univers, son ambiance, son humour décalé et je-m’en-foutiste, assorti malgré tout d’une pointe de noirceur qui détonne un peu si on pensait avoir fait le tour de son style.
Car s’il fallait le rapprocher de ses créations précédentes, on le rangerait bien volontiers et spontanément plus du côté de Killer7 que de Lollipop Chainsaw, ne serait-ce que pour son ambiance « noir » et son style visuel, mais il y a surtout dans Killer is Dead un côté « dark poésie » très prononcé auquel ne nous avait pas forcément habitué le fondateur de Grasshopper et qui donne au jeu une dimension particulière qui pousse à aller furieusement de l’avant, si l’on n’est pas définitivement engoncé dans ses certitudes de ce qui est bien ou non en termes de plaisir de jeu, of course (un peu comme pour le Monty Python Flying Circus, évidemment pas pour la poésie, mais bien pour le fun pas forcément grand-public).
Car tout over-the-top qu’il soit dans sa forme Killer is Dead laisse suinter dans sa narration et sa construction une mélancolie qui s’éloigne un peu de l’aspect purement WTF qui caractérise d’ordinaire les œuvres du « keupon du JV », mais sans pour autant donner l’impression qu’il s’assagisse. Non, c’est plutôt comme s’il avait soudain gagné en maturité, et se soit rendu compte que la dite maturité n’empêche en rien ses traits de folie, au contraire même : elle lui permet de continuer à tracer sa route plus sereinement et d’assumer encore plus pleinement sa différence avec le tout-venant de l’industrie !
Et bien que restant fidèle à sa vision unique des choses, Suda san jongle ici avec des références directes soit à ses confrères (le troisième niveau du jeu est une référence directe à Alice : Madness Returns, d’American McGee, et ce jusque dans la bande originale – encore une fois signée par l’immense Yamaoka Akira, qui visiblement trouve son bonheur avec l’ami Suda puisque Killer is Dead est leur quatrième coopération après No More Heroes : Desperate Struggle, Shadows of the Damned et Lollipop Chainsaw) soit à des écrivains ou des réalisateurs « un peu hors-normes » (par exemple Franz Kafka, comme cité plus haut, mais aussi le Terry Gilliam des Aventures du Baron de Münchhausen).
Et bien sûr, une fois tout cela passé à la moulinette de ce sempiternel « joyeux bordel anarchique » évoqué en début de billet et tellement révélateur de son style, il ne reste plus qu’à s’immerger profondément et laisser venir, sans lutter, le bon fun et les rixes spectaculaires et velues entrecoupées de mises-en-abîmes poilantes mais toujours révélatrices du fait que Suda51 sait parfaitement ce qu’il fait et s’adresse à un public (son public ?) plus que capable d’apprécier ses jeux tout en gardant un recul nécessaire sur le fait qu’en définitive, « tout ça c’est pour de rire ».
Si Suda51 reste à ce point un créateur parfois violemment décrié par d’éternels blasés qui n’ont aucun goût crient au vol – à l’instar d’un autre vrai grand génie du JV, Monsieur Kamiya Hideki -, je reste fermement convaincu que c’est parce que l’homme ne se considère pas autrement que comme un amuseur qui prend avant tout plaisir à ne pas se restreindre pour que tous ceux qui aiment ses jeux continuent à prendre le plus de bon temps possible.
Bref, Suda51, on aime ou on n’aime pas. Mais si on aime, on ne peut que prendre son pied devant Killer is Dead.
Ugh, j’ai dis !