Test : Beyond : Two Souls

Genre : Aventure/Thriller fantastique/Fantastique thriller
Supports : Playstation 3

Editeur : Sony
Développeur : Quantic Dream
Test effectué sur une version : Commerciale
 
Date de sortie : 9 octobre 2013
PEGI : 16
Prix : environ 50 € pour la version simple et entre 70 et 90 € pour l’édition spéciale, selon les crèmeries bien sûr

beyond two souls

Temps de lecture estimé : Au-delà de deux secondes

On le sait depuis un moment déjà, David Cage est un curieux bonhomme.

Son premier jeu, The Nomad Soul (1999), mixait plusieurs styles de gameplay (shoot, beat them up, réflexion, et même un petit peu jeu de rôle) lors d’une aventure futuriste métaphysique et épique très influencée par le Blade Runner de Ridley Scott et déjà il faisait participer à sa réalisation une personnalité étrangère au monde du jeu en la personne de David Bowie, qui composa huit titres pour le soft (en collaboration avec Reeves Gabrels) et y tenait également deux rôles sous la forme d’avatars modélisés d’après ses propres traits.

Puis en 2005 sort Fahrenheit où il commence à développer une structure basée sur un scénario à suspens vu à travers les yeux de trois protagonistes, offrant ainsi au joueur la possibilité de découvrir le déroulement de l’histoire selon trois regards différents. Il y développe également une notion de « santé mentale » à surveiller sous peine de voir l’un des personnages devenir dépressif ou carrément barjo, introduit un concept de choix du joueur qui auront une incidence sur les événements à venir, parsème le jeu de séquences d’actions contextuelles et opte pour une mise en scène ouvertement cinématographique dans le choix de ses cadrages et d’artifices tels que l’écran splitté cher à la série 24.

Heavy Rain, son jeu suivant et sans doute celui qui a fait le plus parler de lui, sort en 2010 et, sous la forme d’un thriller psychologique dans la droite de ligne de Seven de David Fincher, Cage perfectionne le gameplay déjà utilisé pour Fahrenheit, cette fois-ci à travers les pérégrinations de quatre personnages et autant de points de vues en liens avec la trame principale. On y retrouve aussi le concept de choix qui auront une influence sur la progression de l’histoire et une jouabilité bien plus axée sur les actions contextuelles que dans Fahrenheit, ce qui va valoir à David Cage une bronca de la part de la critique spécialisée, cette dernière décriant massivement son jeu comme n’en étant pas un, mais plutôt un film interactif où il n’y a rien d’autre à faire que d’appuyer sur les touches au bon moment et faire des rotations de joysticks et de Sixaxis (Heavy Rain – tout comme Beyond : Two Souls – est une exclu PS3).

beyond two souls jodie

Et c’est là que le bât blesse, car cette critique « qui sait » passa complétement à côté de ce qui fait l’intérêt du titre, à savoir qu’avec Heavy Rain Cage ne voulais pas faire un jeu comme les autres mais bien un thriller interactif qui cherche à abolir une certaine idée des médias de divertissement et n’hésite pas à assumer une ambition qui est de susciter l’émotion par l’implication du joueur/spectateur d’une façon différente de ce que le cinéma et le jeu vidéo arrivaient à faire ; le cinéma parce que c’est avant tout un média passif, et le jeu vidéo parce qu’il se borne souvent à répéter les mêmes formules codées « qui marchent ».

De plus on ne m’enlèvera pas de l’idée que, Heavy Rain ayant par contre plu à une large majorité de « non gamerz », ceux qui se considèrent en tant que membres d’une élite, et qui donnent parfois l’impression de défendre un pré-carré de happy-fews, n’ont pas vu d’un très bon œil ce soft dont l’essence n’est pas de faire montre de capacités issues de longues heures de pratique devant un écran, mais de créer de façon différente une implication émotionnelle de la part des joueurs. Du coup Cage est depuis catalogué comme auteur prétentieux par beaucoup et cela l’a à mon avis pas mal desservi pour ce qui est de l’accueil critique de son dernier bébé, qui se fait à son tour éreinter par certains de ces mêmes médias spécialisés, qui n’ont visiblement toujours rien compris trois ans après et attaquent le jeu avec une attitude blasée et exactement sous le même angle.

Mais n’écoute pas trop les haters hater, ami lecteur, car n’en déplaisent à certains Beyond : Two Souls est bien un jeu vidéo, et aussi une expérience interactive qui doit beaucoup au cinéma, au roman et à la série télé américaine (bon, paske la french, à part quelques très rares réussites, franchement…), et c’est en tout cas une œuvre étonnante.

Pour commencer, j’espère sincèrement que tu en sais le moins possible concernant l’intrigue, car c’est le meilleur moyen de vraiment profiter de Two Souls. Si tel est le cas tant mieux et je ne spoilerai rien dans les lignes qui suivent, mais comme il faut bien un minimum présenter le jeu je me contenterai d’une description des premières minutes, façon quatrième de couverture.

Beyond : Two Souls raconte l’histoire d’une jeune femme nommée Jodie Holmes, qui lorsque le jeu commence se trouve dans le poste de police d’un petit patelin de province. Il fait nuit et elle semble perdue, à bout et incapable de sortir de son mutisme alors qu’un débonnaire shérif essaye de lui faire dire qui elle est, d’où elle vient, pourquoi l’a-t-il trouvée seule et hagarde au milieu d’une route de forêt et comment a-t-elle récupéré cette sale cicatrice sur l’arrière de son crâne rasé ? Mais ces réponses il ne les aura pas, car très vite un commando du SWAT investit les lieux avec des précautions de peaux-rouges, dans le but d’appréhender Jodie.

beyond two souls action

 

Voilà, je ne t’en dirai pas plus, pas même sur un élément pourtant crucial pour l’histoire et le gameplay, élément que mes confrères n’auront sans doute pas hésité à révéler d’emblée, mais si par chance tu ne les a pas lus/vus/écoutés alors crois-moi, n’en fait rien et garde intact le plaisir de la découverte (sinon, ben tant pis, et de toute façon ça n’enlèvera rien à mon propos). De mon côté ça va un peu moins me faciliter la tâche de parler du jeu dans les détails, mais je pense pouvoir atteindre mon but malgré tout, qui est toujours de te donner envie d’essayer par toi-même (ou pas…).

Alors non, David Cage n’a pas changé son fusil d’épaule pour ce qui est d’utiliser une réalisation très cinématographique et une jouabilité souvent contextuelle, mais la construction de Beyond : Two Souls diffère cependant beaucoup de celle de Heavy Rain et Fahrenheit, et l’expérience de jeu est du coup très différente.

D’abord parce que l’histoire ne concerne plus directement qu’un seul protagoniste et ne se concentre que sur deux points de vues. Il en résulte à la fois un jeu beaucoup plus « nerveux » et intimiste que les deux précédents qui eux multipliaient les interactions avec la trame principale, au point parfois de devoir faire face à quelques incohérences narratives et cassures de rythme. Ce n’est pas le cas ici, l’action étant toujours centrée sur Jodie, et pour mieux arriver à susciter l’intérêt pour son histoire et créer un lien spécial entre elle et le joueur, l’intrigue de Beyond : Two Souls est présentée sous forme de chapitres déstructurés chronologiquement, de sorte à apprendre à la connaître à travers certains moments clés de son existence.

L’avantage de cette narration éclatée, outre prendre le temps de créer une empathie avec le personnage, est également de pouvoir habilement ménager une montée de curiosité progressive vis-à-vis du scénario au fur et à mesure que s’assemblent les éléments d’un canevas qui va bien plus loin que ce que l’on aurait pu imaginer au départ (au point de se demander à la fin si un Beyond : Two Souls 2 ne serait pas envisageable).

william dafe beyond two souls

Le gameplay ne dépaysera pas ceux qui ont joué à Heavy Rain mais lui aussi s’est adapté à la nature de l’histoire. Moins alambiqué, beaucoup plus instinctif et direct qu’auparavant – malgré quelques moments où on se tricote un peu les doigts –, il est une parfaite passerelle entre le joueur et Jodie, à la fois parce qu’il nous permet d’être impliqués et en même temps de ne pas considérer la jeune femme comme un avatar de jeu vidéo, mais bien comme un personnage à part entière, avec son vécu, sa psychologie, ses convictions propres. Un personnage auquel on finit par s’attacher au point de la considérer au bout d’un moment comme une proche.

Car le vrai tour de force de Beyond : Two Souls – outre sa réalisation de très, très haut-vol – et un élément qui manquait au précédents jeux de Cage, réside justement dans la création de ce lien, d’une efficacité émotionnelle rarement atteinte dans un jeu vidéo (en fait seuls Ico, Bioshock Infinite et The Last of Us ont fait aussi bien en la matière, quoiqu’en usant de ficelles différentes) et qui justifie amplement le choix d’un casting « de cinéma ».

On sait déjà que Willem Dafoe ne peut tout simplement pas être mauvais, même quand il joue dans un film très bof, et on n’est vraiment pas déçus ici, d’autant plus que la technique de motion-capture utilisée pour le jeu permet de vraiment prendre en compte les différentes subtilités de son jeu, qui se voient réellement sur le visage du Dr Dawkins, son rôle in-game (et puis quelle voix !)

Quant à Ellen Page – qui porte littéralement le jeu sur ses épaules – c’est bien simple : sans son interprétation passionnée et sincère du personnage de Jodie, Beyond : Two Souls ne fonctionnerait tout simplement pas et elle justifie à elle seule de se lancer dans l’aventure.

Parce que, à la différence d’autres jeux qui bénéficient d’un casting au petits oignons mais qui se fait généralement remarquer lors de cinématiques entrecoupant des phases jouables ou en voice-over, Beyond : Two Souls c’est dans le même temps des cinématiques ET des phases jouables. Alors bien entendu il ne s’agit nullement de déprécier le talent d’acteurs de la trempe de Nolan North, Troy Baker, Ashley Johnson, James McCaffrey ou Phil LaMar, et j’espère franchement les voir – eux et tant d’autres – tenir à leur tour des rôles de cette ampleur dans le futur, mais les acteurs principaux de Beyond : Two Souls apparaissant à l’écran tels qu’ils sont réellement IRL, on comprend mieux la décision de Cage d’opter pour une distribution de « stars » patentées, qui ont eu une telle foi dans le projet qu’elles donnent constamment le meilleur d’elles-mêmes et prouvent une fois de plus, d’une façon certes plus grand public – casting cinéma oblige -, que le jeu vidéo peut être un terrain béni pour de grands rôles.

Côté bande-originale aussi David Cage a été chasser sur les terres d’Hollywood, et il ramène en trophée le couple Hans ZimmerLorne Balfe (enfin, c’est surtout ce dernier qui a fait le boulot) qui livre une B.O totalement au diapason du jeu, et notamment un thème principal particulièrement poignant.

Signalons enfin que, ayant toujours à faire des choix tout au long de l’aventure, on ne pourra pas du premier coup avoir une vision complète de l’histoire de Jodie Holmes, et que plusieurs fins étant possibles on sera tentés d’y revenir, même si ce n’est pas immédiatement.

Bref ami lecteur, Beyond : Two Souls est une vrai merveille et un jeu vraiment pas comme les autres. Un immense coup de cœur qu’il serait dommage de rater sous prétexte que quelques aigris…eh bien sont juste aigris, car n’oublie jamais que « seuls les idiots s’interdisent d’aimer les choses différentes sous prétexte que ça ne correspond pas à une étiquette » (Johnny Rotten).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *